Réforme de l’Assemblée nationale : la modernisation ne passe pas par l’externalisation, mais par des effectifs supplémentaires !

Le Président a confié aux secrétaires généraux une mission sur le rôle de l’administration de l’Assemblée nationale après avoir exprimé, dans ses vœux au personnel, son souhait d’un renforcement du Parlement et son attachement au principe d’autonomie administrative de l’Assemblée, qui est la conséquence de la séparation des pouvoirs. Sur ces deux derniers points, nous sommes totalement en accord.

Le Président estime que le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée implique des adaptations de la fonction publique parlementaire. Nous n’avons pas d’opposition de principe à l’engagement de réformes, dès lors qu’elles servent effectivement et exclusivement cet objectif de renforcement de l’institution.

Les annonces brutales qui viennent d’être faites par le Gouvernement sur l’évolution de la fonction publique fixent cependant un cadre qui n’est pas de nature à rassurer sur les perspectives de l’emploi public.

  1. Périmètre de l’administration parlementaire et champ de ses missions

Le Président fait valoir l’accroissement des missions de l’Assemblée, leur diversité et leur technicité. Cela peut effectivement impliquer de revoir le champ des missions de l’administration parlementaire, pour les étendre en conséquence. En revanche, cela ne justifie en rien de les externaliser ou d’en abandonner certaines. Plusieurs raisons s’y opposent :

– une raison de principe : l’Assemblée doit pouvoir compter sur ses propres forces pour assurer son fonctionnement et ne pas dépendre, en la matière, d’intervenants qu’elle ne contrôle qu’imparfaitement – en tout cas si l’on est attaché à son autonomie de fonctionnement. C’est ce que prévoit l’article 18 du Règlement : « Les services de l’Assemblée nationale sont assurés exclusivement par un personnel nommé dans les conditions déterminées par le Bureau. »

Le Président a d’ailleurs lui-même souligné la disproportion qui existe entre les effectifs de l’Assemblée et ceux du Bundestag et de la Chambre des Communes, ce qui plaide pour un renforcement des moyens humains de l’Assemblée, effectivement insuffisants, d’abord par la reprise d’une politique de recrutements statutaires dans toutes les catégories et des dispositifs permettant de régulariser, par leur intégration, la situation des contractuels de droit public affectés à des emplois permanents.

– des considérations pratiques :

  • Exigence de réactivité et de continuité de service, y compris le weekend et la nuit, pour s’adapter au rythme de travail de l’Assemblée. Cela concerne certes le travail législatif, de contrôle ou de gestion administrative et financière, mais pas seulement. On peut penser à l’organisation du Congrès en 3 jours, à l’accueil d’une délégation du Bundestag dans des délais aussi courts mais aussi à la préparation des salles pour les séminaires et colloques régulièrement tenus dans les locaux de l’Assemblée, notamment le weekend, à la maintenance des installations et équipements techniques, aux divers travaux menés lorsque l’Assemblée ne siège pas, à la restauration, etc. Les corps techniques sont donc eux aussi très largement sollicités, et soumis à des astreintes importantes. Le recours à des prestataires externes ne garantit ni la même réactivité, ni la même qualité, notamment quand il est nécessaire, au préalable, de passer des marchés.

En revanche, la tension actuelle organisée sur les effectifs, largement inférieurs à l’effectif réglementaire, rend l’accomplissement des missions de plus en plus difficile dans des délais serrés. Face à cette situation, il est envisagé de recourir à l’externalisation alors qu’en réalité, ce sont des recrutements qui sont nécessaires pour garantir la même qualité de service aux députés.

  • Les exemples ne manquent pas d’externalisation de certaines fonctions qui se sont révélées insatisfaisantes et se sont conclues, in fine, par une ré-internalisation, comme le développement d’applications informatiques, ou qui ont nécessité un accompagnement continu des prestataires par des fonctionnaires en raison de la méconnaissance des caractéristiques techniques des équipements par les personnels extérieurs.
  • Maîtrise des dépenses de fonctionnement de l’Assemblée : si l’on souhaite externaliser des fonctions en soumettant les prestataires extérieurs aux mêmes obligations de disponibilité que les fonctionnaires de l’Assemblée, cela se paie, sans qu’il ne soit assuré, par ailleurs, que le service rendu sera de même qualité. Rien ne permet d’affirmer, en l’état, que l’externalisation de certaines fonctions serait moins coûteuse pour l’Assemblée que de recourir à ses propres effectifs.
  • Exigence de sécurité : au-delà de la question de la sécurité des installations, on peut soulever le paradoxe qu’il y a à renforcer les mesures de contrôle et de sécurité pour l’accès à l’Assemblée, tout en voulant accroître le recours à des personnels extérieurs et réduire le nombre d’agents responsables de la surveillance. C’est, de ce point de vue, un renforcement des effectifs de fonctionnaires qui serait nécessaire.
  1. Organisation des services et évolutions apportées aux corps et carrières

Le Président envisage des aménagements dans l’organisation des services. Cela pourrait être nécessaire pour adapter l’organisation aux missions de l’Assemblée après une éventuelle révision constitutionnelle. En revanche, on ne voit pas en quoi la « réforme des structures » implique d’apporter des « évolutions aux corps ». Un changement d’organisation administrative n’implique pas, par nature, une modification du statut.

– Assigner des objectifs d’atteinte de résultats pour l’exercice de fonctions de direction n’est pas la conséquence logique d’un changement dans l’organisation des services. Cela soulève en revanche d’autres questions : par qui et comment seraient fixés ces objectifs, par qui et comment l’atteinte des résultats serait-elle évaluée ? Que se passerait-il si les objectifs n’étaient pas atteints ? Un directeur pourrait-il dans ce cas être démis de ses fonctions de direction, ce qui porterait un rude coup à l’équivalence du grade et de l’emploi pour les emplois d’encadrement fonctionnel ?

– Systématiser la mobilité externe des administrateurs n’est en rien le gage d’un meilleur service rendu aux députés. La mobilité externe existe déjà et nous en défendons les modalités actuelles : par la possibilité de mise en disponibilité pour convenances personnelles, qui concerne toutes les catégories et pourrait à la marge être améliorée en matière de cotisations sociales et de droits y afférant, mais aussi avec la mise à disposition ou le détachement auprès d’un nombre limité d’institutions choisies en raison de leur statut et de la volonté de préserver la séparation des pouvoirs : autorités administratives indépendantes, Conseil constitutionnel, etc. qui concerne surtout les administrateurs et les fonctionnaires assimilés.

Vouloir étendre et systématiser le système actuel suscite plusieurs observations :

  • Cela est totalement contradictoire avec l’attachement à une fonction publique parlementaire autonome, puisque serait désormais obligatoirement intégré à la carrière le passage dans une administration extérieure. On pourrait même en venir à pénaliser ceux qui souhaitent accomplir leur mission au service exclusif des députés, ce qui est quand même leur vocation première, et dont ils tirent d’ailleurs fierté.
  • Toutes les mobilités externes ne se valent pas. La mobilité « pour la mobilité » n’apporte pas forcément de plus-value professionnelle compte tenu de la nature des tâches accomplies à l’Assemblée. Encore faut-il que l’administration d’accueil présente un intérêt au regard des tâches accomplies à l’Assemblée, et que les capacités d’accueil soient au rendez-vous.

– Instaurer une réciprocité est contraire au principe d’autonomie administrative de l’Assemblée et soulève des questions de principe importantes.

  • Si l’on considère que des compétences manquent aux administrateurs de l’Assemblée nationale, qui sont des généralistes, il n’est pas cohérent, dans une perspective de renforcement du Parlement, de se reposer sur une expertise temporaire issue de l’exécutif. Un renforcement de l’expertise au sein de l’Assemblée peut être souhaité par les députés ; dans ce cas, c’est par des recrutements sur des emplois permanents que l’on traitera ce problème.
  • Cela pose aussi la question de la loyauté des fonctionnaires extérieurs à leur administration d’origine : un fonctionnaire du ministère des finances dont la carrière dépend, in fine, de Bercy, sera-t-il entièrement loyal au rapporteur général ?
  • Par qui les fonctionnaires extérieurs seront-ils proposés ? Deux risques, loin d’être mineurs, existent : d’une part, une sélection sur des critères politiques ; d’autre part, que les administrations d’origine trouvent bien pratique de se défaire ainsi de fonctionnaires peu performants.
  • Les expériences passées n’ont pas été concluantes et il y a d’ailleurs été mis un terme (exemple du fonctionnaire de Bercy à la commission des finances).
  1. Système de rémunération et durée du travail

– Le système de rémunération vient d’être réformé, à la fin de la précédente législature, dans un objectif de maîtrise de la masse salariale. La forfaitisation de la rémunération s’est fondée sur un rythme prévisionnel de travail (séances de nuit notamment) qui semble, pour l’instant, plus que tenu vu le calendrier des travaux de l’Assemblée nationale. L’institution semble donc plutôt gagnante et une clause de revoyure avait d’ailleurs été prévue pour tirer le bilan de cette réforme d’ampleur. La moindre des choses serait de respecter ces échéances avant de réformer pour réformer.

– Le système de rémunération des fonctionnaires de l’Assemblée repose sur le principe que les contraintes liées au rythme de travail particulier de l’AN sont lissées sur la carrière, ce qui exclut des rémunérations différenciées selon les services d’affectation. Un tel système soulèverait en outre de lourdes questions en termes de gestion des carrières et des affectations, avec de réels risques d’iniquité.

– La durée du travail à l’Assemblée relève des spécificités de l’institution, soulignées par le Président lors de ses vœux au personnel. L’irrégularité du travail parlementaire implique des sujétions pour le personnel ; celles-ci sont admises, et justifient la rémunération selon un système qui a été jugé comme moins coûteux et plus avantageux pour l’institution que l’application du droit commun avec paiement des heures supplémentaires – sans même parler de l’imprévisibilité de la masse salariale qui en résulterait, comme sous le régime antérieur à la forfaitisation, et auquel celle‑ci visait précisément à mettre un terme.

Cette même déréglementation des rythmes de travail et l’impact physique jamais pris en compte du travail de nuit pendant des décennies, que subissent par exemple nos collègues gardiens surveillants ou des comptes rendus, explique le système de pension. Assurant d’ores et déjà un taux de remplacement (rapport entre le dernier traitement d’activité et la pension versée) très faible pour une carrière complète (aujourd’hui portée à 43 ans pour la génération née après 1968), il permet cependant de partir avec une retraite proportionnelle.

  1. Modalités de concertation et « jeudis de la CGT »

Lorsqu’il nous a reçus, le Président, comme le Premier questeur avant lui, ont rappelé leur attachement à la concertation la plus large avec les personnels et leurs représentants. Nous partageons bien sûr cette volonté de dialogue. Cependant il ne saurait être question pour nous d’être associés à la remise en cause de la fonction publique parlementaire et de son statut, dans toutes ses composantes.

Afin de renforcer nos propres dispositifs de concertation et de vous permettre de défendre nos réflexions et vos revendications, nous allons organiser une série de réunions les jeudis midis dont voici le calendrier :

 

Date Catégorie
Jeudi 22 février Agents
Jeudi 1er mars Restaurants

Chauffeurs

Jeudi 8 mars Assistants de direction et de gestion
Jeudi 15 mars Gardiens surveillants
Jeudi 22 mars Ouvriers professionnels
Jeudi 29 mars Contractuels
Jeudi 5 avril Administrateurs-adjoints
Jeudi 12 avril Administrateurs

Rédacteurs des comptes rendus